
Bon lundi mes poules! J’espère que vous allez bien.
Vous m’excuserez d’avoir slacké sur Grimelle au cours de la dernière semaine, c’est pas que je vous aime pas, que j’ai le syndrome de la page blanche ou encore que j’essaie de prendre la fuite avec tout votre pognon (merci chers abonnés payants). Nenon, c’est plus simple que ça : c’était ma semaine d’anniversaire! Bravo à moi. J’ai officiellement franchi le cap de la mi-trentaine avec moult tambours et fanfares.
35 ans et toutes mes dents, à moi enfin les grossesses gériatriques!
Bref, je me suis concentrée sur mon petit bonheur et j’ai le goût de vous dire que c’est pas de trop dans le contexte socio-politique actuel. Évidemment, je suis bien consciente que dans notre société qui carbure à la performance et où tout est présentement chaos, je pourrais passer pour une pauvre feignasse parce que j’ai osé ralentir. Ouais ben, vous savez quoi? J’ai juste le goût de répondre désolée pas désolée.
J’en profite pour vous recommander deux objets culturels en lien avec ce sentiment de culpabilité qui menace toujours de poindre dès qu’on envisage une pause : la série « Ralentir » animée par la formidable Rose-Aimée Automne T. Morin sur les ondes d’ICI Première (dispo en rattrapage ici) et le livre Libérer la paresse, oeuvre chorale dirigée par Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy.
Perso, j’aime bien me référer à une citation de l’écrivaine afro-américaine Audre Lorde pour parler de l’importance du repos lorsque nous sommes engagés dans des luttes, que ce soit par choix ou malgré nous.
« Caring for myself is not self-indulgence, it is self-preservation, and that is an act of political warfare. »
Traduction libre : prendre soin de moi, ce n’est pas de la complaisance, c’est de l’auto-préservation et cela est un acte de guerre politique.
Devant ces forces sournoises populistes et démagogues qui tentent par tous les moyens de nous épuiser pour mieux nous faire capituler, le repos représente un geste de défiance politique, une résistance salvatrice qui peut mener à la victoire, j’en suis persuadée. Le repos c’est la désobéissance civile.
Audre Lorde était une intellectuelle, une poétesse, une philosophesse qui a dit beaucoup de choses importantes de son vivant. Parmi ses autres citations qui m’habitent en permanence, il y a aussi celle-ci : « Je ne suis pas libre tant qu’une femme reste prisonnière, même si ses chaines sont différentes des miennes ».
J’avais le goût de revenir sur la plus récente Journée internationale des droits des femmes qui a donné lieu à des mobilisations extraordinaires un peu partout sur la planète. J’ai été émue par les images de chaîne humaine dans un décor bucolique à Frelighsburg, au Québec (je le précise pour mes abonnés français, coucou les potes) et je dois dire que j’ai pogné de quoi dans le métro en croisant des mamans qui revenaient de la manif dans le centre-ville de Montréal avec leurs petits accessoires rouges. Ça m’a ramené au printemps 2012, le printemps de tous les dangers pour la jeunesse d’ici et d’ailleurs.
Parmi les autres actions qui ont accroché mon regard le 8 mars, il y a également le stunt percutant des FEMEN françaises qui ont pris d’assaut les rues de Paris, seins nus comme à leur habitude, mais avec une petite coquetterie en prime : le mot « no » dessiné sur la lèvre supérieure dans un style imitant la moustache tristement célèbre d’Adolf Hitler. Une mise en scène efficace pour faire un pied-de-nez à ce qu’elles appellent une « épidémie fasciste ».
De voir les FEMEN françaises mobilisées, ça m’a ramené à un entretien que j’avais mené dans une autre vie avec Neda Topaloski, le visage du mouvement FEMEN en sol québécois. C’était 3 ans après le fameux stunt du Grand Prix où Neda s’était présentée seins nus sur la rue Crescent, QG consacré des amateurs de course automobile, pour dénoncer le phénomène de l’exploitation sexuelle durant cet événement (et dans la vie en général).
J’ai partagé quelques extraits de cette rencontre sur mon compte Instagram en mode « succès-souvenir » et l’enthousiasme de mes abonnées a été tel que j’ai eu le goût de ressortir mes vieux textes écrits à l’époque où j’étais productrice de contenus (une façon funky de dire que j’étais une journaliste qui écrivait au « je ») chez Québecor.
En 2018-2019, j’étais une des rares chroniqueuses âgées en bas de 30 ans à avoir une grosse tribune dans un média de presse écrite pis une carte blanche totale de son employeur. Et ça, c’est sans compter ma perspective de personne issue de la diversité. Je le dis en toute humilité : la plupart de mes textes ont bien vieilli principalement parce qu’ils abordaient des sujets qui sont malheureusement encore d’actualité aujourd’hui avec un regard de jeune adulte baveuse. Des sujets qu’on a un peu balayé sous le tapis à cause de la pandémie. Vous allez voir, j’ai les mêmes obsessions depuis toujours : la culture pop, la culture web, la justice sociale, la danse, la forêt et la solitude.
C’est donc un nouveau rendez-vous que je vous donne chaque lundi pour les prochaines semaines. J’ai décidé d’appeler ma série « Oldies but goodies ».
On part ça avec mon texte sur les FEMEN québécoises. C’est un peu ma façon de revisiter un petit pan de l’histoire féministe d’ici et d’ouvrir une réflexion sur le chemin parcouru en 10 ans (entre le stunt du Grand prix et aujourd’hui genre). Éventuellement j’aimerais bien offrir une suite à mon texte initial, question de savoir ce qu’il reste du mouvement FEMEN chez nous. Je travaille fort là-dessus. En attendant, permettez-moi de vous souhaiter une bonne lecture et de vous dire à très bientôt, je vous reviens bientôt avec un autre texte sur les mascus (ils sont partout, que voulez-vous). xx
HAS-BEEN LES FEMEN?
[Août 2018]
« Eille, qu’est-ce qui se passe avec les Femen? » Il aura fallu la mort ultra-médiatisée de Oksana Chatchko, fondatrice de l’organisation féministe internationale, le 18 juillet dernier, pour me rappeler que le Canada possède sa propre branche d’amazones à la poitrine libérée. Pour ces abonnées aux actions d’éclat, le bref communiqué générique diffusé par l’ensemble des branches à la suite de la mort tragique de Chatchko semblait d’autant plus triste.
« Elles sont où? Elles font quoi? Est-ce qu’elles vont bien? », me suis-je demandé en repensant aux gros rendez-vous montréalais de l’été, où les Femen québécoises ont brillé par leur absence.
Les festivals (dont Juste pour Rire, après l’affaire Rozon), le Grand Prix, le sommet du G7 et les premiers happenings annonçant une longue et pénible campagne électorale : les occasions étaient là, mais leurs poings levés n’y étaient pas.
En y regardant d’un peu plus près, j’ai réalisé que ça faisait à peu près un an que je n’avais pas entendu parler de Neda Topaloski, qui est sans conteste le visage du mouvement en sol québécois.
Au cas où vous avez oublié, son nom avait réussi à se frayer un chemin dans le mainstream keb après un stunt médiatique pour dénoncer l’exploitation sexuelle durant le Grand Prix de 2015. Son arrestation musclée, captée par de nombreux médias, avait permis à la jeune femme de cimenter l’action militante des Femen plus clairement que les « Crucifix décalisse! » scandés dans le Salon bleu lors d’une autre action en 2013.

J’ai donc écrit à Neda pour lui demander, grosso modo, ce qu’elle avait fait de son été. On s’est donné rendez-vous dans un petit café du Plateau Mont-Royal la semaine suivante.
« Vanessa? » Neda s’est avancée avec un grand sourire, la main tendue pour les salutations avant de filer direct vers le comptoir de commandes. « Je t’ai amené de la propagande », a-t-elle pouffé en reprenant place en face de moi quelques minutes plus tard.
L’objet de propagande en question? Un sac réutilisable sur lequel on peut lire « Every woman is a riot », un slogan régulièrement utilisé par l’organisation dont elle est membre. La traduction française retenue « Chaque femme porte en elle la révolte » a beau être moins percutante, elle ne laisse planer aucun doute quant au degré d’implication nécessaire pour être une Femen.
Engagée, Neda l’est beaucoup. Suffit de s’attarder à sa façon de parler. Animée, elle débite des phrases-fleuves tout en choisissant ses mots avec précision comme pour s’assurer de leur portée.
« Je décroche des fois, assure-t-elle. Mais je reste toujours à l’affût de ce qui se passe dans le monde. Par exemple, j’ai surveillé avec attention le débat sur la légalisation de l’avortement en Argentine. Même lorsqu’on ne fait pas d’actions chez nous, on reste en contact et solidaires avec les autres membres du réseau. »
Parlons-en de leurs actions. Les Femen s’attaquent au patriarcat à travers trois « piliers » : les régimes autoritaires, l’extrémisme religieux et la prostitution. Au cours des derniers mois, l’organisation a bel et bien lancé une opération pour dénoncer l’exploitation sexuelle durant le Grand Prix de Montréal. La branche québécoise a toutefois préféré miser sur une campagne publicitaire choc plutôt que sur les stunts médiatiques dont elle a le secret.
Je souligne à Neda que c’est bien parce que je travaille dans les médias que j’ai vu passer les quelques affiches faites pour l’occasion, mais je doute qu’elles aient réussi à atteindre le grand public. Il me semble aussi que des affiches, c’est pas mal moins edgy que les autres actions auxquelles les Femen nous ont habitués.
Peut-on parler de flop pour cette année?
Non, répond immédiatement Neda. « Les gens pensent tout le temps qu’on veut tout casser et renverser le système. Mais le but c’est de commencer une conversation. Une action Femen réussie, c’est une action qui commence le débat. La réussite c’est d’amener une cause dans le mainstream », ajoute-t-elle.
« Après le stunt de 2015, la couverture médiatique entourant l’exploitation sexuelle durant les grands événements à Montréal s’est amplifiée; maintenant durant le Grand Prix, c’est un sujet incontournable dans les bulletins de nouvelles. »
En plus des actions militantes directes, les militantes Femen québécoises sont souvent sollicitées dans les université pour des conférences et sont parfois contactées par les médias d’ici ou d’ailleurs.
Mais elles demeurent peu nombreuses. La province ne compterait que six Femen actives, selon Neda. On est loin de la légion d’amazones que j’imaginais. Pourtant le féminisme et ses déclinaisons sont plus populaires que jamais. Des notions complexes tout droit sorties de nos campus universitaires (intersectionnalité, hétéronormativé, culture du viol, etc.) se sont imposées dans la culture populaire. Les féministes de troisième vague sont nombreuses et présentes dans les médias. Alors pourquoi peine-t-on à aller chercher du sang neuf?
« Les filles viennent et repartent. Parce que c’est un engagement de tous les instants. Il faut être prêtes à affronter le regard des gens, affronter les autorités aussi. Et quand on est une Femen, on doit se battre contre les trois piliers du patriarcat. On ne peut pas se consacrer à un pilier plus qu’un autre », commence Neda.
« C’est difficile, poursuit-elle. Moi-même j’ai eu des moments où j’ai douté. Après mon arrestation en 2015, où j’ai carrément passé une nuit en prison, je me suis vraiment demandé si ça allait être ça ma vie. »
L’expérience l’a visiblement ébranlée et laissée amère. Quand Neda parle de son bref passage derrière les barreaux, son débit ralentit. Les mots sont encore choisis avec minutie, mais le ton est hésitant.
« La Couronne s’est démenée pour me garder en prison pendant les trois jours du Grand Prix. J’ai pu sortir sous condition, quatre pages de conditions incluant celle de ne pas me trouver sur le boulevard Saint-Laurent, par exemple », raconte-t-elle.
« J’ai été choquée. On m’a accusée d’avoir troublé la paix, la police a écrit que je m’étais masturbée sur un poteau...les deux sergents-enquêteurs sur mon cas étaient dégueulasses, il y en a un qui m’a dit : « Pourquoi tu t’es habillée en pute? Pourquoi t’es allée faire ta pute? »
Neda ne digère pas cet épisode de sa carrière militante et considère qu’il illustre bien que le droit de manifester n’est pas aussi acquis qu’on pourrait le croire au Québec. « On a parlé de la violence de mon action, mais personne n’a parlé de la violence des policiers à mon endroit », souligne-t-elle.
Le militantisme à la sauce Femen prend beaucoup, mais il rapporte peu et il faut quand même payer les factures une fois de temps en temps. Pour subvenir à ses besoins, Neda cumule les petites jobines dans le milieu de la restauration, ce qui entraîne son lot de défis.
« Les clients me reconnaissent. Des fois ça va être positif, ils vont vouloir discuter avec moi. Mais il y a aussi des clients qui n’aiment pas les actions des Femen et qui se permettent de me critiquer. Je sais que c’est ce qui vient avec le fait de participer au débat public, mais c’est jamais confortable d’avoir quelqu’un qui te balance son opinion au visage comme ça. »
Et le regard du public est rarement tendre à l’égard des Femen. Pour de nombreuses personnes, elles incarnent ce féminisme hystérique et agressif, celui qui s’exprime par le brûlage compulsif de brassières en guise de « fuck you » à l’Histoire et dont l’objectif principal serait l’instauration d’un matriarcat aux relents de dictature.
L’ensemble de leurs tactiques, qu’elles qualifient audacieusement de « sextrémisme », dérange d’une façon qui surprend toujours Neda. « Il y a blocage avec l’idée de nos corps dénudés, il y a quelque chose qui choque encore dans le fait que des femmes choisissent de s’approprier leur corps ainsi, même en 2018 », relate-t-elle.
« Oui nous sommes agressives, mais nous ne sommes pas violentes. Je trouve ça difficile d’être démonisée dans le cadre de la vie normale. Je croise constamment des gens qui détestent ce que je fais...c’est pas très populaire la désobéissance civile. »
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les Femen se retrouvent également isolées même au sein du milieu militant. D’abord on leur reproche de jouer le jeu de l’objectification des femmes en exhibant leurs corps [à la plastique souvent avantageuse] nus. Ensuite, il existe des dissensions importantes au sein du mouvement féministe notamment sur les questions du port du voile et sur le travail dans l’industrie du sexe. Sur ces deux enjeux par exemple, on reproche aux Femen de réfuter le droit des femmes à disposer elles-mêmes de leurs corps.
« Je trouve ça frustrant qu’on nous mette en opposition comme ça, parce que comme société, ça fait notre affaire quand deux femmes ne sont pas d’accord. Ça devient une façon de discréditer leurs revendications. On dit : “Vous voyez? Elles ne s’entendent pas’’. Puis on n’est plus intéressés à accorder de la valeur à leurs arguments », avance Neda.
« Mais on oublie que c’est correct d’avoir des opinions divergentes, c’est ce qui fait avancer le débat. Et je trouve qu’au Québec, on a encore beaucoup trop peur de débattre », ajoute-t-elle.
Je risque une question sur le suicide d’Oksana Chatchko et sur l’avenir du mouvement dans ces circonstances. Neda me rabroue rapidement. « Je n’ai rien à ajouter là-dessus. Le communiqué est clair et je ne parlerai pas en mon nom dans ce dossier. »
Pourquoi? Elle me renvoie immédiatement ma question. « Comment toi tu parlerais du suicide d’une personne à un média? »
Je n’insiste pas.
Sur l’avenir du mouvement en tant que tel, Neda se fait plus loquace. Elle est consciente que l’avènement des réseaux sociaux a beaucoup fait changer la game du militantisme. La prise de parole des personnes marginalisées qui se fait à coup de hashtags tend à bouleverser les manières traditionnelles de « revendiquer », mais c’est pour le mieux, croit Neda en évoquant avec satisfaction la petite révolution provoquée par le mouvement #metoo.
Au cours des prochaines semaines, la militante compte se consacrer à l’écriture. Elle refuse de dire si les Femen envisagent une action durant la campagne électorale du Québec pour mettre la lumière sur un enjeu que nos politiciens auraient pu oublier.
« Si l’occasion se présente, nous serons là pour continuer à faire avancer le débat », conclut simplement Neda.
Hors sujet, mais si le thème de la solitude t'intéresse, je te conseille le roman graphique Seek You de Kristen Radtke.