Heil Elon
Quand quelqu'un vous montre qui il est, croyez-le donc
[Premier texte d’une série de deux]
Durs lendemains pour la planète. Le sacre de Donald Trump le 20 janvier, à Washington, a donné lieu à un triste spectacle de bord en bord, de la foule de partisans trumpistes qui a hué Mike Pence, les Clintons ainsi que Barack Obama au salut n@zi surréaliste d’un Elon Musk complètement survolté.
« My heart goes to you. It is thanks to you that the future of civilization is assured », a-t-il dit avant de faire le geste qui a fait le tour du monde.
Je pensais que la condamnation politique, médiatique et populaire serait immédiate. Boy, was I wrong. J’ai été estomaquée par les silences, mais aussi par la mauvaise foi spectaculaire des uns et l’aveuglement volontaire des autres dans ce dossier. Je donne une note de 10/10 à la séquence de gymnastique intellectuelle dont certains de mes concitoyens — parmi lesquels on compte des gens avec des tribunes trop importantes pour ce genre d’égarements — ont été capables, tout ça pour éviter d’appeler un chat un chat.
Vraiment épatée par tous ces backflips qui ont permis à certaines personnes de virevolter jusque dans l’Antiquité pour parler, avec tout le sérieux du monde, de « salut romain », comme si on était dans un comic strip d’Astérix et Obélix et non pas face à un milliardaire mégalomane et immature qui multiplie les déclarations odieuses sur le réseau social qu’il a volontairement acheté afin de manipuler l’opinion publique par la force de ses algorithmes biaisés. Le milliardaire qui renié sa fille trans, qui parle de faire la guerre au « woke virus » et qui se réjouit de l’abolition des mesures de diversité, équité et inclusion (DEI) supposément discriminatoires [envers les hommes blancs cis et hétéro]. « Elon Musk a fait un salut romain ». Sure.
On va régler une affaire tout de suite. Le salut romain, c’est pas un « thing ». Si un manifestant pro-Palestine avait fait ce salut devant une caméra de télévision, aurait-on parlé de « salut romain »? Les médias auraient-ils parlé de « curieux geste »? Poser la question c’est y répondre.
Je salue (sans connotation aucune à part un immense sentiment de reconnaissance) ce formidable travail d’information de France Culture à ce sujet. Vous pouvez cliquer sur l’image pour voir le carrousel explicatif :
Que dire maintenant de ceux qui soutiennent que la « maladresse » (lol) d’Elon Musk est attribuable à l’autisme? C’est une remarque ignorante (vous confondez avec la Tourette), infantilisante (il s’agit d’un adulte qui sait ce qu’il fait) et capacitiste (l’autisme, c’est un spectre qui regroupe à la fois des gens très fonctionnels et des gens qui ont parfois des limitations qui posent des défis supplémentaires pour leur autonomie et/ou leur intégration à la société…mais ça fait pas d’eux des rednecks out of fucking nowhere?) Mon Dieu, si les « spasmes » ou les maladresses sociales associés à la neurodivergence poussaient les gens à faire des saluts nazi, ça se saurait, nos rues auraient déjà des allures de IIIe Reich.
Elon Musk est autiste, oui. Mais il n’est pas unidimensionnel, fiou. D’ailleurs Elon Musk est aussi un masculiniste décomplexé. Yep.
Sur X, si vous cherchez des tweets où Elon Musk dénigre ouvertement les femmes, à la manière du masculiniste Andrew Tate, vous n’en trouverez pas. D’ailleurs, on a side note, Andrew Tate avait été banni de Twitter en 2017 à cause de ses propos haineux à l’égard des femmes et des minorités. C’est Elon Musk qui l’a réhabilité sur la plateforme au moment de son rachat. Une réhabilitation au nom de la liberté d’expression. Liberté d’exprimer des propos haineux à l’égard des femmes et des minorités, I guess.
Elon Musk, lui, s’exprime autrement, avec un langage qui évoque celui de sa gang, les fuckboys qui fréquentent 4Chan, un forum de discussion anonyme qui est un peu l’équivalent virtuel d’un égout à ciel ouvert. On y trouve notamment des images de revenge porn, des manifestes de tueurs de masse et des memes racistes évoquant la prétendue intelligence supérieure des Blancs sur les autres « races ». Ces memes alimentent ensuite des discussions sur le « Grand remplacement », une théorie raciste développée par un auteur français insignifiant qui soutient que les Européens blancs chrétiens vont bientôt se faire remplacer par des immigrants arabes et noirs, pour la plupart musulmans, d’où l’urgence de fermer les frontières et de faire remonter les taux de natalité en particulier (pour ne pas dire uniquement) chez les femmes blanches. Elon Musk, qui a 11 enfants connus (il est volage et a la fâcheuse habitude d’engrosser ses maîtresses) tweete souvent au sujet de la dénatalité.
1+1 = 2. Vous comprenez maintenant pourquoi les droits reproductifs des femmes sont aujourd’hui dans le viseur de ces politiciens qui cultivent en même temps un discours xénophobe. Et vous savez maintenant où ils puisent leurs idées nauséabondes. De rien.
Pour en revenir à 4Chan donc, c’est un espace spécifique qui appartient à un ensemble plus large qu’on nomme la « manosphère », une espèce de communauté en ligne qui regroupe plein de ces espaces spécifiques où se recoupent des opinions haineuses, généralement dirigées contre les femmes, contre les minorités ethniques (immigrantes ET natives), contre les gais, contre les trans, contre les juifs, contre les musulmans, mais aussi contre l’État et ses différentes institutions dont les médias.
Au sein de la manosphère, l’humour a le dos large, il est brandi comme arme ultime contre le politiquement correct (aka le respect de base pour les éléments de mon énumération précédente) et surtout pour se déresponsabiliser de la nature et de la portée des propos tenus en ligne. D’où le recours fréquent à la culture mémétique : les images valent parfois mille fois mots et surtout, elles permettent de passer des messages qui ne passerait pas le test de l’acceptabilité sociale autrement. C’est comme ça qu’Elon Musk s’exprime. Sur X, il parle d’économie, de politique et de ses entreprises, oui, mais il relaie aussi des memes, des jokes et des « talking points » propres à la manosphère.
Parmi ces « talking points » propres à la manosphère, il y a la « red pill ». Vous pouvez voir dans la mosaïque en haut qu’Elon Musk a retweeté un truc à ce sujet.
The Red Pill, c’est le nom d’un documentaire de Cassie Jaye, une actrice, recyclée en réalisatrice, qui aime bien explorer des phénomènes sociaux dans ses films. Dans The Red Pill donc, elle s’intéresse aux mouvements de défense des droits des hommes. Sur papier c’est une super bonne idée, puisque les hommes vivent effectivement des enjeux préoccupants qui leur sont propres, sauf que Cassie donne la parole à des groupes de défense des droits des hommes (Men’s Rights Activist aka MRAs) dont la vision est ancrée dans un ressentiment à l’égard des femmes et des féministes. Tsé les monsieurs qui disent qu’on vit dans un matriarcat et que les hommes sont une espèce en voie de disparition? Ouin, eux autres.
Dans son documentaire, Cassie « s’éveille » à cette « vérité » : les hommes souffrent, les hommes sont victimes de discrimination et de fausses accusations, les hommes sont émasculés (il y a un grand mouvement en ligne comparant la circoncision à l’excision qui est hérité de ce film), les hommes sont détournés de leur rôle fondamental de pourvoyeurs à chaque avancée sociale en faveur des femmes et des minorités, qu’il soit question de l’accès des femmes au marché travail ou encore de la « discrimination positive » en faveur de la diversité.
Vous dire comment ce film-là a eu l’effet d’un séisme sur le web en 2017. Je pense qu’il a contribué à radicaliser des hommes qui n’allaient pas bien et qui étaient triggered par la 4e vague de féminisme qui s’est déployée sur les réseaux sociaux, genre sur feu Tumblr. Pensez à un média comme Jezebel, pensez à un blogue comme Everyday Feminist, pensez à des projets comme ceux de Liz Plank et des Brutes Judith Lussier et Lili Boisvert ainsi qu'à toutes les conversations autour de la culture du viol ou de la charge mentale par exemple. J’ai déjà parlé de la vibe sur le web durant cette période ici et ici. En gros, il y avait quelque chose de très délétère dans l’air sur le web, avec le mouvement Incel qui germait en parallèle. Des hommes se sentaient accusés de tous les maux, et certains d’entre eux avaient le feeling qu’ils étaient plutôt des victimes des femmes, avec pour conséquence qu’une trâlée de réseaux masculinistes se sont constitués autour de l’urgence de se « réveiller » et de révéler la « vérité ».
Vous aurez compris que The Red Pill c’est une référence directe au film The Matrix et au dilemme au coeur de son histoire : prendre la pilule rouge et se réveiller à temps pour sauver l’humanité ou prendre la pilule bleue et rester dans une espèce d’apathie qui causera notre perte.
Maintenant, vous vous rappelez que le salut n@zi d’Elon Musk s’accompagnait d’une déclaration sur le futur de la civilisation? Même chose pour le tweet quelques paragraphes plus haut au sujet de la dénatalité? There you have it. Ça fait partie du tableau de ses obsessions récurrentes. Ce qui m’amène au prochain point.
Elon Musk est autiste, oui. Elon Musk est un masculiniste décomplexé, vous pouvez le concevoir maintenant. Elon Musk est aussi un néo-n@zi.
Elon Musk connaît très bien 4Chan, il comprend ses codes, il retweete son contenu (comme dans l’exemple ci-dessus) et a régulièrement recours à son imagerie symbolique comme le fameux « Pepe the Frog », mascotte numérique de la nouvelle génération de suprémacistes blancs. Juste au retour des Fêtes, Elon Musk a mis un Pepe comme photo de profil sur X.
En plus de ça, Musk retweete et interagit avec des comptes qui déblatèrent des propos racistes à forte teneur eugéniste. Je veux tellement pas que vous passiez à côté de la définition de l’eugénisme que je la mets drette-là, sans habillage :
https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/eugenique
« L’eugénisme est un ensemble de croyances et de pratiques visant à améliorer la population humaine en contrôlant la reproduction. L’eugénisme positif vise entre autres choses à favoriser la procréation des individus et des groupes considérés comme porteurs de caractéristiques et de gènes désirables, et à améliorer et à renforcer ainsi le patrimoine génétique de la société. L’eugénisme négatif a pour but de décourager ou limiter la procréation des individus et des groupes considérés comme possédant des caractéristiques ou des gènes inférieurs ou indésirables. »
Retenez cette définition, svp.
Garrison Hayes, un journaliste et créateur de contenu pour le média Mother Jones, a relevé qu’Elon Musk interagissait beaucoup avec un @eyeslasho, un compte sur X qui partage UNIQUEMENT du contenu à teneur raciste et eugéniste.
@eyeslasho change souvent de pseudo et on ne sait pas qui est derrière le compte (ils pourraient être plusieurs) mais son contenu, redondant, s’articule autour d’obsessions bien précises : la dénatalité et le prétendu « Grand remplacement » (toujours lui), mais aussi le quotient intellectuel moyen par pays, « l’incompatibilité civilisationnelle » (un concept cher aux néo-n@zis) et le corps des femmes blanches. Il affiche aussi un amour profond pour la nation, mais un mépris tout aussi profond pour ses institutions et ses dirigeants (donc non, il n’est pas naturellement fan de Trump). Il défend également la conviction que les mesures de « discrimination positive » favorisent injustement les Noirs et les Latinos (supposément naturellement stupides) au détriment des Blancs et des Est-Asiatiques (supposément dotés d’une intelligence supérieure).
Ce qui est particulier (mais pas surprenant quand on connaît bien les néo-n@zis) c’est que @eyeslasho ne se voit pas comme un raciste. Nenon, il n’est pas raciste, il ne fait que relayer de prétendues données empiriques basées sur la science (alors qu’elles ont été réfutées mille fois) comme la mesure du QI, par exemple. Il n’est pas raciste, nenon, il n’a rien contre contre les Chinois ou les Japonais par exemple…bon les Noirs c’est autre chose, mais il ne leur veut aucun mal, il ne veut pas les lyncher comme si on était en 1915 franchement, il veut juste qu’ils décrissent des pays occidentaux et qu’ en attendant leur remigration, ils arrêtent de voler des jobs et des places d’université aux Blancs et aux Est-Asiatiques.
Et donc par le passé, il est arrivé qu’Elon retweete du contenu d’@eyeslasho. Évidemment toujours le contenu le plus neutre et aseptisé possible, avec des ti-graphiques qui ont l’air de rien pour les non-initiés. Mais si tu fréquentes les cercles d’extrême droite ou que tu les suis à des fins de surveillance comme bibi ici, tu comprends immédiatement ce qu’il insinue à chaque retweet. C’est la technique du dog-whistle. Un signal perceptible pour une catégorie spécifique de gens, pour leur dire qu’il fait partie de leur gang et que, grâce à la position qu’il occupe, il fait avancer leurs dossiers. Chaque retweet d’Elon Musk contribue à donner de la visibilité à @eyeslasho qui gagne en abonnés. Ça participe à la normalisation de ses contenus racistes, pourtant normalement irrecevable dans la société, en les présentant comme si de rien n’était, comme des trucs légitimes, ouvert à la discussion, sur lesquels c’est « intéressant » de débattre, de papoter, d’avoir différents points de vue.
Maintenant, regardez comment les obsessions d’Elon Musk recoupent celles de @eyeslasho :
J’ai réussi à prendre les deux dernières captures d’écran hier pis ça relève du miracle parce qu’Elon Musk interagit moins avec @eyeslasho qu’avant. ll semble plus prudent. Je pense que c’est à cause du reportage de Mother Jones sur le sujet. Mais comme vous pouvez le voir dans la mosaïque ci-dessous, les enjeux relatifs à la démographie et à la diversité l’habitent en permanence. Ça fait des années qu’il tweete des cochonneries de même. Il croit dur comme fer que les personnes blanches sont victimes de racisme.
Vous voyez comment dans cette idéologie-là, les droits des femmes et des minorités sont interreliés, d’où l’urgence d’adopter une analyse intersectionnelle pour mieux comprendre ceux qui en tirent les ficelles.
Voilà pourquoi je n’ai aucun doute sur la nature de la salutation envoyée par Elon Musk au monde entier lundi. En fait, there’s actually more, mais c’est pour un autre texte, j’suis vidée.
Ces jours-ci, devant la sombre farce qu’est devenue la plus grande démocratie du monde, les femmes afro-américaines, les seules à avoir vraiment tenu le fort le 5 novembre dernier, répètent une phrase de la grande Maya Angelou qui vaut la peine d’être empruntée et gardée dans une petite poche pour la prochaine décennie qui s’annonce d’une grande noirceur. Winter is coming, y’all. La fortune d’Elon Musk continue de croître à chaque heure qui passe et malheureusement pour nous, il semble incapable de se contenter de flamber ses quelque 433 milliards de dollars (en date du 22 janvier) sur d’la coke pis des filles comme les autres tarlas de la Silicon Valley. Non, monsieur ressent l’appel de la politique.
Le trumpisme fait des petits partout dans le monde et l’homme le plus riche de la planète, mué par une obsession pour la survie de l’humanité et un pas pire complexe de Dieu (Neuralink + missions sur Mars), se permet désormais de faire de l’ingérence politique dans d’autres pays. C’est une question de temps avant qu’il ne mène de véritables opérations de déstabilisation pour ébranler les institutions censées nous protéger. Le Canada ne sera pas épargné. Elon a la citoyenneté.
On n’est pas obligés de le laisser rentrer.
« When someone shows you who they are, believe them the first time. »
Heil Maya.
Ce substack manquait à ma vie. MERCI.
Très beau travail! Je m'abonne dès que je peux (quand même bientôt), promis!