Bonjour, ou devrais-je dire ~nǐ hǎo, huānyíng huílá~
Ben oui, c’est ça, je suis pas meilleure qu’une autre : moi aussi j’ai téléchargé l’application Duolingo pour la première fois cette semaine dans l’espoir de demander l’asile numérique en Chine. Vous venez de lire cette phrase et vous trouvez que c’est du chinois? Mdr,,,, je vous résume ça grossièrement, ma gang d’internautes gériatriques. Attention, dans ce texte il sera question de la Palestine, mais aussi de Heidi Montag. Brace yourselves.
TikTok, ce réseau social ultra populaire qui carbure aux petites vidéos verticales, est sur le respirateur artificiel depuis quelques heures déjà aux États-Unis. C’est que le réseau social appartient à ByteDance, une entreprise chinoise, pis les Américains sont ben mal à l’aise avec ça.
Ça fait des années que le gouvernement américain menace de fermer le réseau social. Trump a été celui qui a lancé les hostilités durant son premier mandat (fun fact : c’est le sujet de ma première chronique ever à l’émission Dans les médias) et les démocrates ont récupéré le dossier sous le règne de Biden.
Dans ses communications officielles, le gouvernement américain soutient notamment que TikTok représente un danger pour la sécurité nationale des États-Unis en raison des risques d’espionnage potentiel par le gouvernement chinois. Les élus américains veulent forcer ByteDance à vendre TikTok à une compagnie américaine pour continuer ses activités sur le territoire. Si ByteDance refuse, elle se fait techniquement botter le cul hors des États-Unis. L’application serait complètement effacée des différents app stores. Un gros move politique…que personne ne prenait réellement au sérieux jusqu'au printemps dernier.
C’est parce que ça faisait 5 ans que ça niaisait comme dossier autant chez les républicains que chez les démocrates. Le public s’est comme habitué au gouvernement qui crie au loup pis chaque nouvelle menace de fermeture a été accueillie avec un haussement d’épaules pis un roulement d’yeux. Pour vous donner une idée, l’image ci-dessous a été publiée par le compte Instagram officiel de Substack pour troller le gouvernement américain. Tsé quand personne te prend au sérieux au point où même des entreprises numériques rient de ta gueule?
Mais y’a un événement à l’autre bout du monde qui est venu complètement chambouler les débats sur TikTok. Il s’agit de l’attaque surprise du Hamas — un groupe de résistance nationaliste palestinien considéré comme une organisation terroriste par de nombreux pays occidentaux dont le Canada — en sol israélien, le 7 octobre 2023.
L’attaque menée de jour, durant un festival de musique, a fait plus de 1200 morts et de nombreux blessés. Ce jour-là, le Hamas a capturé 251 personnes, dont des enfants, pour les garder en otage. Le groupe est aussi accusé d’avoir utilisé le viol comme arme de guerre au cours de son attaque. La réponse d’Israël et de ses alliés, les États-Unis en tête, n’a pas tardé. Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a promis l’équivalent d’un bain de sang en Palestine et c’est exactement ce à quoi on assiste depuis 15 mois : un bain de sang qui a fait plus de 46 000 morts, avec des victimes qui sont pour la plupart des femmes et des enfants. La réponse israélienne c’est aussi des dizaines de milliers de civils blessés et/ou handicapés à vie et déplacées sur le territoire. On peut donc parler de génocide puisqu’Israël a dépassé depuis belle lurette l’idée de « légitime défense ». [J’écris ce texte alors qu’Israël et le Hamas viennent à peine de s’entendre sur la signature d’un cessez-le-feu; l’encre est pas près d’être sèche.]
Je suis pas là pour faire la genèse des violences sur le territoire (faudrait vraiment me payer très cher, plus que ce que je suggère en pledge). Simplement pour rappeler que la planète s’est tristement habituée aux bras de fer qui virent toujours en escalade (à forces inégales, évidemment) entre Israël et le Hamas. Des escalades qui entraînent toujours la mort tragique de nombreux civils dans leur sillage. En fonction d’où l’on situe sur la planète, on peut être tentés d’appuyer Israël ou le Hamas. La tradition veut que l’Occident se range quasi systématiquement du bord d’Israël, considéré comme « la seule démocratie au Proche-Orient », et ce, peu importe le degré de violence de ses opérations de colonisation ou de ses ripostes (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aucune sympathie pour les Palestiniens, l’Occident est paradoxalement très conscient de la crise humanitaire qui les afflige mais agit comme si elle était tombée du ciel) tandis que les pays du Sud global se rangent généralement du bord du Hamas et/ou des Palestiniens (même dans une logique décoloniale, c’est pas tout le monde dans le Sud global qui est à l’aise avec le Hamas, qui est un groupe armé de résistance, oui, mais qui est aussi un groupe armé islamiste).
Bref, je pense que la majorité des gouvernements occidentaux qui se sont levés pour condamner l’attaque surprise du 7 octobre et donner leur appui unilatéral à Israël s’attendaient à ce que leur population embarque dans le hate-train traditionnel à l’encontre des Palestiniens…sauf que.
Sauf que.
Le monde a changé. Selon les Nations Unies, en 2022, plus de 75% des humains âgés de 10 ans et plus avaient accès à un téléphone cellulaire permettant de se connecter à l’internet. Cette réalité est au coeur de l’émergence d’un 5e pouvoir dans nos sociétés modernes : le journalisme citoyen propulsé par les réseaux sociaux. Avec pour conséquences que pour la première fois de l’histoire, l’humanité a assisté à un génocide en temps réel. Les Palestiniens ont passé les 15 derniers mois à documenter leur réalité quotidienne sur le terrain d’une façon qu’aucun journaliste issu des médias traditionnels n’avait pu le faire auparavant. Tout ça pour le meilleur ET pour le pire. Le meilleur : une couverture sans filtre des violences perpétrées par Israël sur des civils. Le pire : une couverture sans filtre des violences perpétrées par Israël sur des civils. Si vous avez bénéficié d’un fil d’actualité Instagram exempt d’enfants palestiniens décapités et/ou démembrés entre le 8 octobre 2023 et aujourd’hui, bravo, vous faites partie des rares élus dont l’innocence est encore préservée. Chérissez-la pendant qu’il est encore temps. Pour de vrai, au cours des 15 derniers mois, j’ai vu des choses sur Instagram qui m’ont donné le goût de me rincer les yeux à l’eau de javel en plus d’alimenter chez moi une espèce de colère sourde, diffuse, contre le gouvernement israélien. Colère qui s’est traduite, durant un bref instant, en immense élan de sympathie et de solidarité pour tous les combattants du Hamas.
Je ne suis pas la seule à avoir développé un grand dédain pour la classe politique israélienne, vous avez vu comme moi les mobilisations sans précédent partout sur la planète en faveur de la libération de la Palestine et du démantèlement de l’État d’Israël. Vous avez vu la panique que ça a engendré chez les élites politico-médiatiques même ici, au Québec, entre le premier ministre François Legault qui associe tous les manifestants aux « islamistes » , le chroniqueur Mathieu Bock-Côté qui parle « d’islamo-gauchisme anti-occidental » et l’humoriste Martin Petit qui soutient que les juifs sont persécutés dans les rues de Montréal. Si c’est ça la perception de notre élite à nous, imaginez ce qui se passe dans la tête des élites aux États-Unis, un pays qui compte par ailleurs une population juive beaucoup importante que la nôtre.
Mais le rapport avec TikTok, Vava? C’est que depuis quelques années, TikTok est devenu l’endroit où se cristallisent toutes les luttes de la gauche progressiste. Dans un paysage médiatique dominé par la droite économique et dans un landscape numérique de plus en plus dominé par des voix conservatrices (allô les podcasts mascus!), TikTok, un lieu où un retrouve une panoplie d’opinions, demeure le château fort des voix féministes, antiracistes, décoloniales, anticapitalistes, anti-police, écologistes, queer-friendly. Un héritage de la pandémie, de la première présidence de Donald Trump et surtout de la mort de George Floyd qui a causé une onde de choc à l’échelle mondiale.
De réseau social un peu nono où on tentait de reproduire des chorégraphies de Megan Thee Stallion parce qu’on était presque tous en confinement et en télétravail, TikTok est devenu un lieu d’éducation et de mobilisation populaire sur différents enjeux sociaux, de Black Lives Matter à NativeTikTok en passant par la situation des Ouïghours en Chine et les célébrations autour du 50e anniversaire du soulèvement de Stonewall, événement historique catalyseur de la résistance LGBTQ+.
TikTok en 2019 :
TikTok deux ans plus tard :
Oups, il y a comme une petite rupture de ton, han?
TikTok c’est aussi le lieu où beaucoup de jeunes ont été exposés pour la première fois à la guerre entre Israël et le Hamas. D’abord durant la crise de 2021 puis dans la foulée des attaques du 7 octobre 2023. J’insiste sur « les jeunes » parce que TikTok c’est LE réseau social le plus populaire chez Gen Z et Gen alpha aux États-Unis en plus de rallier beaucoup de millénariaux. Et ces jeunes-là ont réalisé qu’il existait un décalage important entre les lignes officielles des gouvernements et des médias occidentaux (qui ont malheureusement tendance à édulcorer la réalité à cause de toutes sortes de contraintes, certaines hors de leur contrôle…d’autres non :) ) et la réalité du terrain telle que dépeinte par les Palestiniens armés de leur simple téléphone. En fait, le journalisme citoyen palestinien nous a permis de mesurer l’ampleur de la machine de propagande israélienne et de renverser le fardeau de responsabilité sur l’État hébreu plutôt que sur le Hamas, désormais perçu comme une armée legit de libération contre le joug colonial. Et donc, pour la première fois de l’histoire récente, les jeunes américains sont devenus plus sympathiques à la cause palestinienne qu’à la cause israélienne, en rupture avec les autres générations.
Les différents sondages qui sont sortis sur le sujet ont fait ca-po-ter la classe politique américaine, autant les républicains que les démocrates. Tout le monde y allé de sa déclaration maladroite. C’est devenu évident que le gouvernement américain cherchait dorénavant à endiguer certains phénomènes de mobilisation sociale...soit une atteinte directe à la liberté d’expression pourtant enchâssée au top de la constitution américaine.
Ça, c’était en avril 2024. Cringe.
À peu près durant la même période, les internautes partout sur la planète ont réalisé que Mark Zuckerberg avait instauré une nouvelle fonctionnalité out of nowhere pour limiter par défaut le contenu politique sur Instagram, un autre réseau fréquenté majoritairement par les jeunes. D’ailleurs, selon les rumeurs, Mark Zuckerberg serait intéressé à acheter TikTok comme d’autres milliardaires de la Silicon Valley. Parce que oui, au-delà de la grande hypocrisie liée à la « sécurité nationale » (on se rappelera que Facebook représente un danger avéré pour la sécurité nationale d’autres pays) et à la liberté d’expression, TikTok c’est une opportunité d’affaires extraordinaire, un réseau social en pleine croissance dont on a pas encore fini d’explorer le potentiel. Les broligarques comme Zuckerberg veulent leur part du gâteau.
Bref, au printemps 2024, la menace de bannir TikTok apparaissait plus concrète que jamais. En plus, les États-Unis entraient en mode campagne électorale avec un Joe Biden considérablement affaibli physiquement, mentalement et politiquement qui cherchait quand même à calmer ses détracteurs pis à laisser sa marque comme président. Un homme triste donc, face à un Donald Trump fâché, hostile aux « wokes » et pour qui TikTok est un des porte-étendards par excellence. C’était comme rendu une compétition entre les deux pour savoir lequel allait pouvoir se vanter d’être LE président qui a réussi à tirer la plogue sur TikTok.
C’est finalement Joe Biden qui repart avec les honneurs. La loi bannissant TikTok est entrée en vigueur dans la nuit du 18 au 19 janvier, privant près de 170 millions d’Américains d’un accès au réseau social. Leurs comptes sont encore là par contre et c’est pour ça que j’ai évoqué l’image de respirateur artificiel au début de mon texte. Et puis, plus tôt cette semaine, les jeunes américains ont commencé à s’organiser pour trouver des alternatives à TikTok et ils ont entre autres jeté leur dévolu…sur Xiaohongshu, une autre application chinoise. Iconic.
L’interface de Xiaohongshu est majoritairement en mandarin ce qui a poussé les internautes à télécharger Duolingo, une appli déjà populaire pour apprendre des langues étrangères, faisant ainsi exploser son taux d’inscription habituel. On parle d’un bon de 216% par rapport à la même date l’année dernière. Ce qui est malade dans tout ça, c’est que Duolingo a complètement embarqué dans le trend.
Duolingo a même ironisé sur le fait que les Américains s’en câlissent de vendre leur âme au gouvernement chinois, toujours accusé de censurer ses citoyens, alors qu’en ce moment c’est plus le gouvernement américain qui a l’air de censurer les siens. Bonnet blanc, blanc bonnet.
Maintenant, dans un de ces revirements dont lui seul à le secret, Donald Trump, initialement hater-en-chef de TikTok, a décidé de se poser en grand sauveur de l’application, notamment parce que les voix masculinistes sur le réseau social ont fait monter sa cote de popularité auprès des jeunes électeurs masculins. À quelques heures de son investiture, Donny a proposé un sursis et un nouveau deal à ByteDance : vendre « seulement » 50% de ses parts à des entreprises américaines. Lol. Les citoyens américains sont graduellement en train de retrouver leurs accès à TikTok…jusqu’à la prochaine chicane, I guess.
Je sais pas comment ça va finir tout ça. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai retardé la publication de ce texte, je voulais être le plus à jour possible sur les derniers développements pour pas avoir besoin d’en écrire un autre. Avant de me coucher hier, j’ai écouté plein de vidéos d’Américains qui disaient babaille à TikTok pis ça m’a fait de la peine pour eux et pour nous, Canadiens. Parce que si TikTok avait fermé aux États-Unis, ça aurait pas pris de temps pour que le Canada suive vu qu’on n’a pas personnalité propre. Je vous rappelle qu’en 2023, Justin Trudeau a forcé les élus et les fonctionnaires fédéraux à retirer TikTok de leurs téléphones intelligents. Legault a fait de même au provincial. Nos premiers ministres emboîtaient ainsi le pas à Joe Biden qui avait émis une consigne similaire pour les agences fédérales américaines.
TikTok c’est un réseau social que j’adore. Je reste toujours complètement ébahie par la créativité et l’assurance dont font preuve les jeunes (et les moins jeunes) actifs sur la plateforme. On parle souvent des effets négatifs des réseaux sociaux sur les kids. C’est vrai qu’ils sont soumis à une horrible pression, mais les réseaux sociaux c’est aussi un safe space pis un lieu d’épanouissement extraordinaire pour beaucoup d’entre eux. C’est plein de monde qui sont clever, qui sont drôles, qui dansent mieux que n’importe quelle popstar actuelle, qui se créent des réseaux autour d’une passion commune. C’est du monde qui ont compris les bases du filmmaking, autant l’aspect technique que le storytelling. Y’a toute une nouvelle génération d’entrepreneurs là-dedans qui redéfinit les bases du marketing, entre autres. C’est plein de beaux mouvements sociaux, TikTok, et les Américains, même avec tous leur défauts, contribuent à la vitalité de ce réseau-là.
Juste dans la dernière semaine, il y a eu une mobilisation surréaliste pour soutenir les couples Heidi Montag/Spencer Pratt et Leighton Meester/Adam Brody. Deux ménages très C-listers à Hollywood, néanmoins icônes chéries des millénariaux dont ils ont fait le bonheur entre 2004 et 2010 avec leurs séries télé respectives (Laguna Beach, Gossip Girl, The OC). Les deux couples ont tout perdu dans les incendies en Californie pis l’internet s’est mobilisé sur TikTok pour donner un second souffle aux carrières musicales assez médiocres de Heidi et Leighton afin qu’elles puissent toucher l’argent du streaming et rebâtir leur foyer.
TikTok c’est aussi des star-systèmes locaux et internationaux, en marge de ceux qui dominent dans les médias traditionnels. Je pense que c’est notamment pour ça que ces derniers lèvent autant le nez sur les « influenceurs » et je pense que c’est également la raison pour laquelle je n’ai pas vu beaucoup de chroniques ou d’éditoriaux pour dénoncer l’atteinte à la liberté d’expression que constitue le « TikTok ban ». Les médias trad ont eux aussi passé la dernière année à relayer la cassette officielle de la « crainte pour la sécurité nationale » en démonisant la Chine d’une manière qu’ils ne démonisent jamais les États-Unis. Et pourtant.
Je pense aussi que leur dédain pour des réseaux sociaux comme TikTok vient de la réalisation qu’ils ont perdu leur influence de 4e pouvoir au profit du 5e pouvoir, au profit de citoyens ordinaires qui ont réussi à changer les règles du jeu et qui sont désormais ceux qui dictent les tendances. Oui, il y a une part d’incompréhension par rapport aux fonctionnement des réseaux sociaux, mais il y a beaucoup de jalousie, j’ai l’impression. Je crois que les médias traditionnels sont fucking delulu en s’accrochant à cette idée que les gens vont revenir vers eux une fois qu’on aura banni TikTok et exposé les méchants GAFAM pour ce qu’ils sont. Mais pour sauver le couple du naufrage, y’aurait fallu avoir une vraie relation in the first place. Pas sûre que Gen Z et Gen alpha ont déjà été attirés sexuellement par les médias trad. Pis les millénariaux, eux? Un situationship, j’dirais.
Bref. Le monde a changé. Les réseaux sociaux sont là pour rester. Les États-Unis n’ont pas le monopole sur la technologie et n’ont plus l’autorité morale de donner des leçons à qui que ce soit. Aujourd’hui c’est TikTok, demain ce sera Xiaohongshu et après-demain…ben y’en aura un autre! Mon petit doigt me dit que y’a pas une loi qui va réussir à venir à boutte d’une révolution comme celle-là. 和平
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Merci ! Franchement en tant que retraitée des médias traditionnels et vu mon âge je comprenais pas cette histoire de fermer tic toc où je ne suis jamais allée ! Me voilà éclairée et tu me donnes envie d’y aller ( je croyais plus que c’était des vidéos de maquillage etc pour vrai!!! ) . Tu le sais pas encore mais en vieillissant ça peut être facile de devenir complètement out de ce qu’il se passe ! Je le suis mais je me soigne grâce à des personnes comme toi! Tellement merci Vanessa !