Ouais, ben, la nouvelle année a commencé pas mal de la même façon que la précédente s’est terminée : c’est-à-dire à coup de 2x4 dans la face, gracieuseté ces movies-villains-brought-to-life que sont Elon Musk et cie. Carole Callwalladr, une journaliste britannique crissement importante, a utilisé l’expression « broligarchy » (que je traduirai ici par « broligarchie/ broligarques ») pour parler de ce boys club constitué d’entrepreneurs de la Big Tech, multimillionnaires (quand c’est pas milliardaires), somehow accrochés aux mamelles du pouvoir aux États-Unis. Sur les réseaux sociaux, on est plusieurs à rire de la gueule de ces messieurs indépendants de fortune qui ressentent quand même l’urgence de « bend the knee » devant un Donald Trump plus unhinged que jamais.
Déterminé à faire sa place auprès du nouveau roi Soleil, Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook, multiplie les opérations de séduction pour convaincre tout le monde pis sa mère qu’il est lui aussi one of the boys malgré des années de simp passées à flirter avec les démocrates quand ces derniers avaient encore le vent dans les voiles. Mon collègue et ami, Chris Curtis, du média indépendant The Rover, a fait ce meme qui résume assez bien la situation.
Aujourd’hui donc, Zuck, 40 ans, essaie désespérément de nous convaincre qu’il est un homme nouveau. Changé. Un mâle alpha, un vrai. Du genre à tripper sur la MMA et à être prêt lui aussi à plaquer virilement un autre homme au sol, dans une cage, en étant uniquement vêtu de petites shorts. Le Washington Post avait d’ailleurs consacré tout un article à sa bro-ification, qui passe aussi par une nouvelle passion dévorante pour le wakesurf et une garde-robe toute neuve qui a l’air 100% commanditée par WLKN.
Bref, Zuck, soucieux de se faire chummé-chummé avec Donald Trump, a annoncé dans une vidéo que META (qui englobe Facebook, Instagram et Whatspp) allait effectuer un retour aux sources et redevenir un espace communautaire propulsé par les utilisateurs où les idées circulent librement sans entraves institutionnelles. Ciao-bye le fact-checking chez META aux États-Unis.
Zuck a également déclaré, sans broncher, qu’il allait travailler de concert avec l’administration Trump pour combattre les lois proposées ou adoptées dans D’AUTRES PAYS pour encadrer les activités des entreprises américaines comme la sienne. Hum. Je ne passerai pas par 4 chemins : ceci est fucked up. Impérialisme, colonisation…il y a plusieurs affaires à disséquer dans son annonce. Mais je laisse ça à d’autres, qui font très bien ça.
Moi, ce qui m’a fait flipper une table, c’est vraiment le call sur le « retour aux sources », comme si ces sources étaient nobles. Man, c’est rire du monde. Ou plutôt des femmes. Parce que Facebook a littéralement commencé comme ça : comme un site destiné essentiellement à évaluer le degré de fourrabilité des collègues de classe féminines de Mark Zuckerberg du temps où il étudiait à Harvard, quelque part en 2003. Le site s’appelait Facemash et était calqué sur le modèle d’un site web super populaire qui s’appelait « Hot or Not ». Zuckerberg avait trouvé une façon de hacker les serveurs d’Harvard pour copier et uploader les photos sur les cartes étudiantes de nombreuses femmes dans le but de les comparer, sans leur consentement, et ainsi déterminer lesquelles étaient les plus chaudes. De fille en aiguille (c’est voulu, oui) Facemash est devenu Facebook; d’abord sous la forme d’un espèce de bottin virtuel pour favoriser les rencontres entre universitaires, ensuite comme un réseau social ouvert à tout le monde, ce qui lui a permis de connaître un succès fulgurant. Au moment où on se parle, y’a plus de 2 milliards d’humains qui se connectent chaque jour sur la plateforme.
La genèse de Facebook nous rappelle à quel point Zuck a toujours été un bro dans le fond. Imagine être à Harvard pis utiliser ton prétendu génie dans le seul et unique but de get du pussy? Si seulement ça se limitait à lui, mais non. Ils sont malheureusement plusieurs à partager la même obsession sur les femmes dans le boys club de la Big Tech.
Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de la Silicon Valley et ça ne date pas d’hier.
C’est un sujet qui m’obsède depuis longtemps. Je pense qu’on ne réalise pas toujours à quel point l’objectification et la déshumanisation des femmes ont servi de moteur à l’innovation sur le web. Au-delà de Facemash/Facebook, je peux identifier 4 autres grandes manifestations de l’objectification des femmes — obviously bien ancrées dans la misogynie — qui ont changé la game sur l’internet.
1. La sex-tape de Pam et Tommy
Dans le milieu des années 90, une mystérieuse vidéo fait son apparition dans les clubs vidéos et sur le web. Sur les images, Pamela Anderson, la bombshell blonde de l’heure, en plein ébat sexuel avec son p’tit méri crotté, Tommy Lee.
By now, vous connaissez tous l’histoire : la cassette, qui était réservée à leurs archives personnelles de couple kinky et littéralement cachée dans un coffre-fort pour préserver leur intimité, a été dérobée par un employé mécontent qui ne se doutait même pas de la valeur du précieux au moment du vol. La sex-tape de Pam et Tommy, c’est une premières vidéos virales sur internet, elle a fait le tour du monde, elle a changé notre rapport à la célébrité, de notre façon de concevoir la frontière entre la vie publique et la vie privée à la prolifération des paparazzis sans scrupules en plus de jeter les bases pour l’émergence des sites à potins sur le web et la téléréalité dans les médias traditionnels. La sex-tape a également servi à cimenter le web comme espace incontournable pour distribuer et consommer de la pornographie à grande échelle et en tout temps. By now, vous savez aussi que cet épisode a fortement ébranlé Pamela Anderson, qui a été slut-shamée à outrance par les médias et le public en plus de voir sa carrière s’écrouler. Pis le comble c’est que ça a été très difficile pour elle de percevoir de l’argent sur sa propre exploitation. C’est pour ça qu’aujourd’hui j’exulte de la voir renaître des cendres du bûcher où on l’a conduite et de devenir la meilleure version d’elle-même, celle en avance sur son temps, l’icône féministe qu’on n’était pas prêts à recevoir. Justice pour toutes les bimbos.
2. La robe Versace de J.LO
Bon. Ça c’est moins glauque, mais tout de même. En février 2000, J.LO cause une petite commotion en foulant le tapis rouge des Grammys aux côtés de son p’tit chum de l’époque, P. Diddy. Je sais. Yikes. Mais ce qui retient l’attention à ce moment-là c’est l’incroyable robe Versace, échancrée, révélatrice, que porte Jenny from the Block. Ça a l’air de rien aujourd’hui, mais faut rappeler que back in the days, la majorité des gens savaient pas c’était quoi du boob tape. Je m’adresse à Gen Z : soyez indulgents.
Bref. Cette robe-là a brisé les internets. C’était comme un mirage, on avait le temps de la voir un gros 10 secondes dans un reportage à la télé à 18h and then she was gone pis il restait juste le bouche à oreille et l’espoir d’une rediff à 22h. Cet engouement autour de la robe de J.LO a attiré l’attention des bonzes de Google, un bébé qui en était seulement à sa deuxième année d’existence. La robe iconic est devenue la recherche la plus importante sur le site ce qui a fait réaliser à ses dirigeants que la recherche d’images serait tout aussi importante dans le futur que la recherche de contenu écrit pis qu’il fallait absolument trouver un espace où rassembler le contenu visuel pour en démocratiser l’accès. C’est ce qui a mené au lancement de Google image en juillet 2001.
Tout ça est public et inscrit dans la légende, by the way. Par contre, impossible de savoir si Jenny from the Block a pu retirer d’autres bénéfices ($) pour son rôle de muse.
3. Le sein dénudé de Janet Jackson
À chaque année durant le Superbowl, j’observe une minute de silence en l’honneur de Janet Jackson, injustement traînée dans la boue à la suite de ce wardrobe malfunction impliquant Justin Timberlake, aka le Michael Jackson des pauvres, qui avait réussi jusqu’à tout récemment à se soustraire du tribunal populaire sur l’affaire. Janet Jackson, elle, a vu sa carrière être réduite à un tas de cendre à cause de son sein droit malencontreusement exposé durant moins d’une seconde. C’était en 2004, durant le spectacle de la mi-temps, pendant la dernière chanson (Rock your body ) où Justin chante « Better have you naked by the end of this song » en tirant sur le bustier de Janet dans le but de dévoiler quelque chose. Perso, je suis pas prête à dire que le numéro était conçu pour exposer sa poitrine malgré la présence d’un bijou sur son sein, malgré la nature des paroles chantées. En fait, pour avoir vu des documentaires sur le sujet, dont ceux produits par Janet elle-même, je suis tentée de croire à un mauvais call de son équipe qui a voulu faire un coup d’éclat sans la mettre au parfum.
Anyway, cet incident nommé « Nipplegate » a secoué l’Amérique puritaine qui n’a pourtant pas manqué de se ruer sur internet pour tenter de rattraper la séquence avec plus ou moins de succès. Cette curiosité obsessionnelle a capté l’attention de trois bros qui deviendraient éventuellement les fondateurs de YouTube. Eux autres aussi cherchaient une façon de voir et revoir le toton de Janet et de permettre aux masses d’en profiter. Pas juste une image statique, mais le dévoilement en tant que tel, avec le geste de Timberlake, dans une loop infernale.
Le tsunami dévastateur qui a eu lieu dans l’océan indien plus tard en 2004 a achevé de convaincre ces messieurs qu’il fallait une plateforme où il était possible de revoir des séquences encore et encore. YouTube était né.
4. Le fappening (ou celebgate)
Je me rappelle d’avoir reçu un texto de mon chum de l’époque. « Omg as-tu vu les photos de Jennifer Lawrence??? » Nous étions tous les deux fans de la nouvelle girl next door d’Hollywood. On avait été épatés par sa performance dans le film Winter’s bone pis on trouvait qu’elle était talentueuse et qu’elle choisissait bien ses rôles en plus d’être drôle et relatable en entrevue. Jennifer Lawrence était aussi de celles qui fournissaient les meilleurs reaction gifs sur le web et Buzzfeed, carrefour de tous les procrastinateurs, en faisait régulièrement des compilations.
Bref, en 2014, l’étoile de Jennifer Lawrence brillait très fort, et pas juste par chez nous. J’imagine que c’était trop pour ces losers qui se sont mis en tête d’éteindre sa lumière dans l’espoir que cette dernière rejaillisse sur leur vieux cul.
Ça a commencé par un hacker qui a trouvé une façon d’accéder à ses fichiers personnels privés entreposés dans des espaces de stockage virtuel. Le dude a compris qu’il avait pogné le jackpot en tombant sur les nudes de Jennifer Lawrence, parmi lesdits fichiers privés. Il a donc décidé de les lancer dans l’univers. Mais, flairant la bonne affaire, il ne s’est pas arrêté là, oh que non, il s’est mis à hacker les clouds d’autres vedettes. En tout, ce sont plus de 500 photos qui se sont répandues comme une traînée de poudre sur le web, notamment dans deux forums qui se targuaient à l’époque d’offrir une liberté absolue à leur membres : Reddit et 4chan.
Ce piratage est devenu le « fappening », la contraction des mots « happening » et « fap » (qui signifie « masturber » en anglais) parce que c’était comme Noël avant l’heure pour les fuckboïs de l’internet trop heureux de se crosser sur les photos des vedettes féminines du moment. Le sous-forum Reddit consacré au fappening est allé chercher quelque chose comme 100 000 membres en 24h…
Cet épisode fucking glauque de l’histoire d’internet a révélé des failles importantes sur la gestion du « cloud » en plus de souffler sur les braises de phénomènes déjà omniprésents et visant habituellement les femmes : le revenge porn ainsi que les deepfakes aka ces photos, vidéos, contenus audios qui permettent de truquer la réalité. Genre prendre la face d’une actrice d’Hollywood et la coller sur le corps complètement nu d’une actrice porno en train de simuler un acte sexuel.
Bref, le « fappening », c’était comme l’affaire Pamela Anderson mais puissance mille en raison du nombre de victimes et de personnes exposées à ce contenu-là. Fallait pas être Lisbeth Salander ou un pédo du dark web pour tomber sur les photos. Elles se sont ramassées partout et à cause de l’anonymat relatif sur le web, c’est devenu extrêmement difficile de retracer ceux qui ont contribué à les répandre. On n’avait jamais vu ça, une attaque aussi importante sur des personnalités publiques « respectables ». Please, ne me lancez pas de tomates, je résume la perception du public à l’époque. C’était pas des vieilles has-been ou des mauvaises filles « qui l’avaient un peu cherché » comme Paris Hilton ou Kim Kardashian. Les victimes, c’était les sweethearts de l’Amérique et certaines étaient mineures sur les clichés. En plus de J.Law, y’avait Kirsten Dunst, Kate Upton, Ariana Grande et j’en passe. Certains internautes, beaucoup trop à l’aise, sont même allés jusqu’à formuler des demandes spéciales encourageant les pirates (ils se sont multipliés, oui) de hacker les clouds d’autres actrices comme Emma Watson.
Même si l’attaque a visé des filles de « bonne vertue », ça n’a pas empêché le public et les médias de verser dans le slut-shaming et le victim-blaming. Mettons que ça a pris du temps pour qu’on allume et qu’on réalise que la honte devait changer de camp.
En plus de braquer les projecteurs sur ce qu’on a éventuellement appris à identifier comme un crime sexuel, le fappening a forcé les patrons de Reddit et de 4chan à réfléchir aux notions de liberté et de responsabilité sur leurs plateformes. Alexis Ohanian, le cofondateur de Reddit (et aujourd’hui absolutiste repentant, mari de Serena Williams!) avait choisi de revoir les règles sur le site. Mais les boss de 4chan, eux autres ont continué de backer l’idée de liberté absolue. Cette situation a permis à Reddit d’assainir son image publique (alors que le forum, perçu comme weird à cause de son interface, avait toujours été un lieu de prédilection pour le revenge porn dans l’indifférence complète de ses dirigeants, ben heureux du trafic que ça apportait sur le site) alors que 4chan est demeuré, dans l’imaginaire (et la réalité en fait) un espace où converge la lie de la société, habillée d’avatars de Pepe the frog, un des symboles par excellence de la violence misogyne, raciste et homophobe en ligne. Et c’est un symbole auquel Elon Musk fait référence périodiquement.
Elon Musk qui flirte lui aussi régulièrement avec la misogynie, comme en témoignent certains de ses tweets les plus nauséabonds. Voici comment l’homme le plus riche du monde a choisi d’interpeller, Taylor Swift, une des femmes les plus riches du monde.
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There you have it, folks. Je pourrais m’étendre encore longuement sur cette obsession pour le corps des femmes comme moteur pour des bro-dudes en quête de fortune et de gloire sur les internets. J’aurais pu parler de nos assistants virtuels vocaux qui possèdent pour la plupart des noms et des voix féminins (Siri, Alexa, Cortana), dans une dynamique qui rappelle une forme d’asservissement. J’aurais aussi pu me pencher sur toutes ces entreprises qui développent des robots aux traits humanoïdes…les traits humanoïdes de très jeunes femmes, blanches et minces, évidemment. Vous dire comment j’attends avec impatience un robot-femme qui a la shape de Laura Cadieux, culotte de cheval et jarret de fermière inclus.
J’aurai le temps de revenir plus en détail sur ces sujets. Je vais plutôt conclure en disant que je reste toujours avec cette impression que l’humanité est terriblement prévisible et joue continuellement dans le même film, et ce, même si l’action se déploie dans un environnement différent depuis quelques décennies. Le patriarcat a l’habitude de prendre ses aises partout où il passe en broyant les femmes sur son passage et le web n’y fait pas exception. Je pense qu’en reliant les différents éléments que j’ai nommés plus haut, c’est plus facile de comprendre que le gros courant masculiniste qui s’active actuellement sur le web n’a rien de nouveau. Ce n’est pas vraiment un ressac. Ce courant-là fait partie de l’ADN même de l’internet et est là pour rester tant que la Silicon Valley sera entre les mains du boys club. Avec la vague d’entreprises qui tirent présentement la plogue sur leurs programmes de DEI (diversité, équité, inclusion), le boys club assure son règne sans opposition pour de nombreuses années encore.
Sur le web, c’est toutes les femmes qui sont vulnérables. La poignée de gonzesses qui sont placées sur un piédestal en raison de leur beauté ou de leur capital (social, économique, culturel) n’y restent jamais bien longtemps, pressés que nous sommes de leur rappeler leur place dans un écosystème qui carbure à leur humiliation, même s’il les exploite occasionnellement comme muses, le temps de capitaliser sur leur aura, seulement pour mieux en disposer plus tard. Alors en attendant la révolution, aimons-nous donc les unes les autres.
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Bravo chère lectrice, tu t’es rendue à la fin du premier article de Grimelle Substack. Me voici donc, saluant ton courage et ta persévérance.
Je ne sais pas ce qui me pousse à lancer un Substack ni vers quoi cette nouvelle aventure va me mener, mais je te remercie de t’y intéresser et de faire un bout de chemin avec moi. Allez, bises. Grimelle. x
Merci pour ce difficile trip down memory lane i remember quand facebook etait base sur les course number dhistoire universitaire tout les moment de web misogyny mont fait revivre ce sentiment horrible que devait vivre les victimes et ce avant la vrai venu de la viralite medias sociaux quon connait aujourdhui. Comme tu as dit its the mysoginy bro it knows no boudaries. Quand un bro pleure sur les reseaux car il perd ses sponsor comme lemay thivierge je pense a comment janet a rien fait et cest fait blackball for years pour aucune raison. hate de te lire et shoutout au franglais dusage
Vanessa nous produit toujours du contenu de qualité, pertinent, mais surtout tellement opportun!!
Cet article est à ne pas manquer. Une analyse sociologique mixant culture populaire et féminisme, Vanessa nous en apprend toujours, et nous fait vraiment comprendre que rien n’est jamais laissé au hasard ou à la chance dans notre société. (Et tout ça avec humour)