L'hyperstition, le concept derrière la fin du monde
Science et fiction, catalyseurs de notre pulsion de mort
J’ai passé les dernières semaines dans un état de sidération. L’esprit embrumé, les membres engourdis, le regard vague. Le fruit d’une tempête dans ma vie personnelle — je vous souhaite de ne jamais croiser le chemin d’un mythomane et de ses « singes volants » (Google it!) — et de l’état actuel du monde, bien évidemment. Au moment où j’écris ces lignes, le compte Instagram officiel de la Maison-Blanche relaie une autre de ces vidéos de merde dont elle a le secret et qui repose essentiellement sur l’exploitation et l’humiliation institutionnalisées des personnes brunes et noires érigées comme principales responsables de la faillite politique, économique, sociale et morale des États-Unis.
Bref, j’ai la haine.
La rage dans une cage.
Autour de moi, les gens espèrent le printemps, s’accrochent désespérément à ses promesses de renouveau et de pétulance pour chasser le sentiment de impending doom (ou danger imminent, si vous préférez) qui nous taraude tous depuis le 5 novembre dernier. Je ne compte plus les conversations à la dérobée où on se demande en chuchotant, le regard gêné par peur de passer pour hystérique, alarmiste ou conspirationniste, si on n’est pas déjà aux frontières du réel, les deux pieds dans la matrice, la dystopie à nos portes.
Je n’ai pas de réponse définitive à cette question. En fait, si, à force de lectures, mais la coucher ici ne serait d’aucune utilité si ce n’est que de rajouter à ce désespoir qu’on cherche à taire au plus profond de nous-mêmes parce que nous savons déjà intérieurement que l’humanité vit sur du temps emprunté depuis un sacré bail.
Plutôt que de céder à la panique entourant la fin du monde ou de se complaire dans une forme de déni mortifère, j’aurais le goût qu’on se donne les outils pour enfin penser la révolution. Sure, ignore is bliss but knowledge is power. Ouais, c’était à prévoir, à force de vous parler de pilule rouge et de pilule bleue sur ce Substack, sur fond de radicalisation en ligne (z’êtes mieux d’avoir écouté Adolescence mes maudits), voilà que je me ramasse moi aussi à vous demander de faire un choix. Pas là là, mais ça vaut la peine de laisser la réflexion commencer à faire son bout de chemin dans votre esprit.
C’est que derrière les visions apocalyptiques qui se succèdent sans relâche depuis 2020 se cache un concept qui risque de vous rendre sceptique et/ou inconfortable. Il faudra apprendre à passer par-dessus le malaise. C’est notre seul salut.
Hyperstition.
Retenez bien ce mot.
L’hyperstition, contraction de « hyperréalité » et de « superstition » c’est un fantasme achevé; c’est la façon dont la fiction devient réalité.
L’hyperréalité, c’est un concept qui renvoie au réel qui est supposément plus réel que le réel. Restez avec moi pis pensez à une grosse mise en scène stagée pour nous faire croire que tout est ultra authentique, un peu comme dans la téléréalité par exemple. C’est fake, mais c’est vrai, genre, vous comprenez? Pis une superstition, ben vous le savez déjà, c’est une croyance un peu fofolle associée à des bons ou à des mauvais présages.
Et donc en gros, l’hyperstition c’est une force motrice, une prophétie autoréalisatrice. À force de prédire ou de s’attendre à un événement, on finit par provoquer, inconsciemment ou non, les circonstances menant à sa réalisation. C’est un concept qui enveloppe les ambitions de l’humanité en ce qui a trait à sa propre survie dans un futur incertain : conquête de l’espace, intelligence artificielle, transhumanisme, immortalité.
Si vous avez passé votre enfance et votre adolescence à vivre une passion obsessionnelle pour Star Wars, Blade Runner et I, Robot, il est possible qu’une fois rendu à l’âge adulte vous comptiez les jours en attendant de pouvoir vous envoyez en l’air dans l’espace aussi facilement que de prendre l’autobus pour aller à Tadoussac. Bonus si vous êtes l’homme le plus riche du monde : ce futur fantasmé est à votre portée, vous pouvez littéralement acheter tous les éléments de la chaîne de production incluant les politiciens.
Vous voyez où je veux en venir?
L’hyperstition c’est un concept qui a émergé au milieu des années 90 au sein d’un collectif de chercheurs et de professeurs affiliés au Cybernetic Culture Research Unit (CCRU), une espèce de groupe de recherche rattaché à l’Université de Warwick, au Royaume-Uni. Au sein de ce groupe d’intellos un peu weirds et obsédés par la science-fiction, les sciences occultes (genre l’alchimie, y’all) et le potentiel du world wide web, une figure se distingue : celle de Nick Land, philosophe ou savant fou (c’est au choix, oui). C’est notamment à lui qu’on attribue-ish la paternité du concept de l’hyperstition et c’est aussi un des principaux architectes d’un courant dont je vous parle énormément dans ce Substack soit l’accélérationnisme.

En rappel, l’accélérationnisme c’est comme un mouvement radical qui cherche à provoquer la chute, considérée comme inévitable, de la société en poussant le capitalisme et la technologie à leur paroxysme pour que toute pète et qu’on puisse repartir sur de nouvelles bases. C’est une idée qu’on retrouve autant à l’extrême gauche du spectre politique (les nouvelles bases seraient alors plus égalitaires, d’inspiration marxiste) qu’à l’extrême droite (les nouvelles bases seraient construites autour de la loi du plus fort, sur un modèle autoritaire).
Et donc de nerd excentrique, passionné de musique techno et de trips de LSD, Nick Land devient, au tournant des années 2000, un full blown suprémaciste blanc (my people, yay) qui croit que la seule civilisation qui mérite d’être sauvée est la civilisation occidentale. La vision accélérationniste qu’il défend est bien celle de l’extrême droite qui aspire à une guerre raciale pour établir un État ethnique blanc. Sa vision sinistre du futur, qui s’appuie notamment sur l’hyperracisme (aka l’eugénisme dans de nouveaux habits), fait de lui un philosophe de ce qu’on appelle les Lumières sombres (par opposition aux Lumières traditionnelles, vous savez ce fameux courant de pensée porté par les philosophes européen qu’on étudie à l’école, genre Kant ou Rousseau) aux côtés de Curtis Yarvin, l’autre lourdaud dont j’ai pris l’habitude de vous parler sur Grimelle Substack parce qu’il est présentement l’une des principales influences derrière les politiques de l’administration Trump. Pour eux, l’effondrement des marchés boursiers, c’est une bonne chose, by the way.
L’hyperstition est la pierre angulaire de l’accélérationnisme tel que défendu par Nick Land parce qu’elle crystallise l’étendue des possibles pour l’humanité. La science-fiction ouvre nos horizons si bien que nous cherchons à la rendre concrète. Les inventions et autres gadgets futuristes ont l’air tellement cools dans notre esprit qu’on est pressés de les matérialiser. C’est de la spéculation qui dépend de notre façon de se projeter dans le futur en puisant dans notre imaginaire, dans nos récits originels, dans nos rêves, nos espoirs, nos angoisses… dans toutes ces choses dont on dessine ensuite les contours dans la littérature, dans le cinéma ou la télévision en attendant de pouvoir capturer leur essence dans la vraie vie. C’est ce à quoi l’humanité, consciente de sa capacité à innover sans cesse, aspire. Je sais que tout ça sonne crissement ésotérique, mais je vous promets que je ne suis pas partie sur un trip d’ayahuasca.
Allons-y avec un exemple facile d’hyperstition. Mettons que vous avez grandi en regardant les Jetson ou Robocop, deux oeuvres de science-fiction qui s’équivalent dans mon esprit de millénariale… both are iconic, c’est ça j’veux dire.


Des Jetson, je retiens les voitures volantes et de Robocop, je retiens la figure du justicier mi-homme mi-robot.
Voitures volantes et cyborgs agents de la paix, ça sonne comme le progrès, n’est-ce pas? C’est pas si fou, considérant qu’on s’affaire actuellement à commercialiser différents modèles de voitures autonomes (dont les degrés d’autonomie varient énormément d’une marque à l’autre) et qu’on est capables de doter des humains de bras bioniques dont certains peuvent être contrôlés à partir d’électrodes directement branchées au cerveau. On y arrive, tranquillement.
Et tout ça, c’est la promesse d’une vie plus simple, plus confortable, plus efficace, plus libre. Ça donne le goût. Alors il se pourrait qu’un ingénieur informatique de mon âge, qui a grandi avec les mêmes programmes télé et qui cultive la même nostalgie, décide de tout mettre en oeuvre pour développer son propre prototype de voiture autonome comme il s’en fait déjà. Et ça se peut que son futur collègue de la génération alpha disons, décide de repousser les limites de la gravité en rajoutant quelques features qui nous rapprocheront de la voiture volante. Même chose pour un chercheur qui souhaite révolutionner le monde de la médecine en permettant à un patient tétraplégique de retrouver l’usage de l’ensemble de ses membres, quitte à fusionner complètement avec la machine.
J’ai mentionné plus haut l’homme le plus riche du monde. Il faut savoir qu’Elon Musk est un des plus grands hyperstitieux (!) dans le monde principalement parce qu’il a les moyens de ses ambitions. Déjà, il est obsédé par le personnage de Tony Stark et son alter ego Ironman parce qu’il est convaincu d’en être l’incarnation. Mais moi, la première fois que je me suis intéressée sérieusement à Elon Musk c’était quelque part en 2018. Sure, je voyais son nom popper sur Reddit et sur 9gag (remember that???) depuis quelques années pis oui, les Teslas étaient déjà un thang, mais en 2018, Elon Musk a réalisé un stunt qui a fait le tour de la planète.
Elon Musk a commercialisé un lance-flamme.
Un lance-flamme pour le citoyen lambda. Disponible pour la modique somme de 500$ afin de financer les activités de The Boring Company, une de ses entreprises qui est consacrée à la construction de tunnels souterrains pour réduire les embouteillages en ville.
Elon Musk trouvait ça cool les lance-flammes donc il a décidé de faire des lance-flammes. Simple de même.
L’inspiration lui est venu d’un film, Spaceballs, un film vraiment nono (mais nono drôle pour vrai, on aime le réal Mel Brooks). Faque vous voyez, notre milliardaire préféré est obsédé par la science-fiction autant dans sa composante de pur divertissement que dans son potentiel pour améliorer la condition humaine [d’une élite].
Elon Musk répète à qui veut bien l’entendre qu’il a beaucoup été influencé dans le cadre de son travail par Isaac Asimov, Robert A. Heinlein et Arthur C. Clarke, trois auteurs incontournables de la science-fiction. Je les ai pas lus, par contre j’ai vu des films adaptés de leurs oeuvres :
Pour Asimov, Bicentennial Man avec mon préf, Robin Williams (RIP) et I, Robot avec Will Smith (RIP)
Pour Heinlein, le navet Starship Troopers avec Denise Richards et ses gros jos
Pour Clarke, le mythique 2001 : l’Odyssée de l’espace, un film qui me fait ronfler ma vie, sorry.
Ces trois auteurs, qui sont par ailleurs très populaires dans la Silicon Valley, ont écrit des livres qui ont servi d’inspiration à plein de réflexions philosophiques sur notre place dans l’univers, sur la conquête de l’espace, le développement des colonies humaines (tiens, tiens), l’existence des extra-terrestres, le développement de l’intelligence artificielle et des robots, mais aussi sur les notions d’identité, de liberté, de surveillance étatique, de guerre et surtout, de dilemmes moraux. Chacun de ces auteurs valse entre l’utopie et la dystopie et malheureusement pour nous, il est impossible de savoir avec certitude ce qu’Elon Musk a retenu de ses lectures, vers quel bord il souhaite faire basculer l’humanité. Et dites vous bien que si c’est pas Elon Musk qui scelle notre destin, ça sera quelqu’un d’autre. Cette course effrénée et inexorable vers le monde de demain est déjà entamée avec la complicité tacite de nos gouvernements. Lire ces auteurs et les autres de la même trempe, se retaper Stargate, Gattaca, Children of Men, Elysium, Snowpiercer et j’en passe, c’est comprendre quel futur le 1% envisage pour nous.
Il est évidemment trop tard pour réécrire le passé, mais les grandes lignes du futur se décident ici et maintenant. Ne laissons pas la clé de l’intrigue entre les mains d’une poignée de mégalomanes aux intentions nébuleuses, mais qu’on devine fourbes et malveillantes. Nous avons encore le pouvoir de changer le cours de l’histoire et d’écrire ensemble un livre dont nous sommes les héros.
Je n'arrête pas de dire depuis les derniers mois que j'ai l'impression d'être dans le film Children of Men, ne manque que des publicités du gouvernement pour nous inciter à se suicider par le biais de comprimés et on y est (bon, certaines pubs électorales peuvent donner le même effet). Merci pour le texte: j'ai appris plein de choses!
Merci beaucoup 🎯🎯